Voici copie d'un article de Pierre Naudin :
" Il serait intéressant de conter par le menu l'évolution des thermes et les mœurs de leurs habitués au cours des siècles antérieurs au XIVe siècle. Les Grecs, les Romains, les Gaulois eurent leurs façons de se baigner, l'usage ayant pour dessein d'effacer doublement les souillures du corps et de l'âme.
L'immersion avait lieu dans les rivières, les fleuves, les fontaines et les ruisseaux. L'on en vint à édifier des établissements balnéaires fréquemment auprès des temples. Au commencement du Moyen Âge, la veille des solennités, avant d'approcher les sacrements, les chrétiens se purifiaient par un bain. Cependant, une distinction fut soulignée par l'Église : il y avait les bains convenables, donc autorisés ; il y avait les bains voluptueux et ceux-là devaient être proscrits. Saint Grégoire (v. 540-604) a exprimé son sentiment dans un paragraphe de ses
Lettres :
"Suivant ce qu'on m'a rapporté", écrit-il aux habitants de Rome,
"de mauvais prédicateurs vous ont dit qu'on ne devait point se baigner le dimanche. La vérité est que si la luxure et la volupté sont le mobile qui fait rechercher le bain, nous ne permettons celui-ci ni le dimanche ni un autre jour ; si au contraire, on le prend parce que le corps en a besoin, nous ne le défendons pas, même le dimanche, car il est écrit : Personne ne hait sa propre chair, mais chacun la nourrit et la soigne
(Ephes). Et en même temps il est écrit : Ne soignez pas votre corps par esprit de concupiscence
(Rom. XII)."L'on pourrait évidemment développer et citer maints exemples de ces considérations religieuses dont la plupart prônent le désintéressement que certains ecclésiastiques avaient eu égard à la propreté. Le vieux Philippe de Mézières, qui ne voyait aucun mal à ce que le roi Richard d'Angleterre, récemment veuf de sa femme Anne, épousât à 28 ans, Isabelle, fille de Charles VI, âgée de huit ans (selon Froissart) mettait au nombre des rares qualités du cardinal-légat, Pierre Thomas, une repoussante négligence de sa personne. C'était, selon lui, une preuve de la mortification d'un homme qui voulait devenir saint !
L'odeur de sainteté avait une flaireur de crasse !
Il existait pourtant des bains particuliers, réservés aux religieux et l'on vit - rarement sans doute - des religieuses fréquenter des étuves publiques avant que celles-ci ne devinssent des lieux de débauche.
De l'usage des bains
Les bains furent réglementés par les conciles. En 803, à celui d'Aix-la-Chapelle, on décréta que les religieux malades pourraient se baigner au commencement du Carême. Il fallut prévoir de gros achats de baignoires. En 819, au même endroit, dans le palais de Louis le Débonnaire, on décida que l'usage des bains, pour les couvents, serait réglé par le prieur de chacun d'eux.
Les ablutions n'étaient pas prises en commun. On se préparait à y procéder après s'être rasé. On se retirait alors dans un clotet (réduit) dont on fermait les rideaux pour se laver à son aise et en silence dans un cuveau appelé
tine (
tina). Là, à l'abri des indiscrétions, les clercs pouvaient se mettre nus et procéder à leur nettoiement.
Cependant, tout bien pensé, les "saints" n'étaient point des adeptes de ces pratiques.
Saint Clément d'Alexandrie ne permettait qu'aux femmes l'usage des bains qu'il appelait "une impudente volupté" pour les hommes.
Saint Athanase enseignait qu'il était défendu aux vierges qui avaient pris Jésus-Christ pour époux, de se laver autre chose que les pieds, les mains et la figure, à condition de n'employer qu'une seulement pour la toilette du visage !
Saint Jérôme citait comme modèle saint Hilarion qui conserva toute sa vie la même cilice.
En 395, dans la Haute-Thébaïde, existait un couvent de cent religieuse qui ne se lavaient jamais les pieds. Elles n'avaient pour habit qu'un cilice qu'elles conservaient jour et nuit jusqu'à ce qu'il tombât en lambeaux.
Saint Augustin prit un bain : pour calmer les regrets nés de la perte de sa mère.
Adalbert, archevêque de Brême (XIe siècle) ne se lava jamais.
Et l'on pourrait citer d'autres exemples ! On a peine à imaginer l'odeur qui devait régner dans certains lieux saints.
C'est à compter du XIIe siècle que les bains froids et chauds entrent dans les habitudes des nobles, des bourgeois et des manants. Dans les franchises des cités, on précise le privilège de tenir des bains en imposant à ceux qui en ont la gestion des redevances héréditaires. On commence à se baigner après un exercice, un combat, l'issue d'un voyage, voire en sortant de prison. Les fiancés se baignent avant leur mariage. Quant aux adoubements, l'on sait de quels rites ils étaient précédés : on coupait les cheveux du récipiendaire et le rasait avant qu'il prît un bain. On le couchait ensuite sur un lit au sortir duquel il enfilait une robe blanche. Dans cet état, il passait une nuit à prier devant l'autel. A l'aube, il entendait la messe et attendait le moment de la cérémonie. Plus encore qu'un nettoyage, ce rite de l'eau constituait une sorte de second baptême.
Il paraît que Saladin s'y prêta lorsque, prisonnier, il fut adoubé par Hugues de Tabarie, prince de Galles. Mais est-ce vrai ?
De passage dans un château, les voyageurs titrés subissaient agréablement la cérémonie du bain. Le soir, au lit, les filles de leurs hôtes procédaient à leur massage. On imagine avec quels roucoulements. La nudité, dit-on, n'offensait alors personne, les gens d'Église exceptés. On prenait le bain seul ou à plusieurs.
Il advint à 60 bacheliers de prendre un jour un bain commun assistés d'autant de pucelles, certaines étant les files du comte qui les avait accueillis. On lit dans
Le Chevalier à la charrette, à propos d'un des héros les plus connus de la Tale ronde, Lancelot (évidemment) :
- Citation :
- Là est Lancelot arrivez
Et lorsqu'il est venuz
Quand il fut despoilliez et nuz
En une haute et belle couche
La pucelle soef le couche
Puis le baigne, puis le conroire.
Ces pratiques "déteignirent" sur le peuple. On ne se contenta plus de se baigner en utilisant tout l'assortiment des plaisances dues aux rites imaginés "en haut". On se mit à manger sur des planches installées au-dessus des cuves et, le repas pris, on procédait à des ablutions nouvelles. C'est ainsi qu'on vit, au XIVe siècle en Allemagne², le trouvère Watriquet mandé au bain par trois chanoinesses accoutumées à faire bon accueil aux chevaliers et aux trouvères qui savaient conter de belles (et croustillantes) aventures.
A en pleurer de rire
A la veille d'une Ascnesion, le trouvère fut convoqué par ces trois "religieuse" pour venir
s'aviser avec elles, banqueter et leur conter de lestes histoires jusqu'à les faire pleurer de rire (
si que de risée [tu]
nous moilles). Une fois nues, les trois pieuses personnes se mirent au bain devant le trouvère et mangèrent avec lui.
- Citation :
- Chacune en son baing, toutes nues
Et la tierce sans nul desdaing
Se despoille et entre en son baing
L'onques pour moi n'i fist dangier,
Lors commenchâmes à mangier
Ma table estoit assez près d'èles
Si les vis vermeilles et bèles
Et esprises de grand chaleur,
Que leur fesoient avoir couleur
Lis bains chaus et li bons vins frois,
Dont assez burent sans effrois,
Là fumes aises à tout point.²²
On peut deviner comment se termina ce déjeuner singulier mais on ne sait en quel état fut le ménestrel lorsque ces dames s'en allèrent.
Parce que sous Louis XIV les soins corporels furent négligés, pour ne pas dire inexistants chez les gens de la noblesse - Versailles et les édifices à l'entour exhalaient maintes espèces de puanteur -, certains ignares ont tendance à penser : "Puisque sous le roi Soleil les gens sentaient mauvais, qu'est-ce que ça devait être lors des royautés précédentes !". Eh bien, non. La Renaissance, il est vrai, a "cocotté", mais les siècles qui la précédèrent furent ceux de pratiques balnéaires qui se révélèrent parfois abusives, d'où l'indignation de certains membres du Clergé qui entendaient, en privant les amateurs de
baignerie, leur imposer une mortification sans grande influence, d'ailleurs, sur leur religiosité.
Dans les romans et les contes des XIIe et XIIIe siècles (
La Borgeoise d'Orliens,
Le Cuvier,
Les Deux Changeors,
Gérard de Nevers), il est question des bains. Dans
Flamenca (XIIIe siècle), est esquissée la vie qu'on menait à Bourbon-l'Archembault. L'on y trouvait des établissements de bains très fréquentés. On y prêtait, en effet, aux eaux de cette cité thermale, des guérisons miraculeuses.
On a prétendu que l'usage des étuves fut une "mode" rapportée par les croisés à leur retour de Palestine. En fait, elles existaient déjà sous Charlemagne. Elles étaient situées dans des maisons suffisamment vastes ayant une entrée sur une rue, une sortie sur une autre, ce qui permettait de se soustraire à d'importunes curiosités. On y trouvait des bains chauds, des étuves à l'air chaud. Dans une cave aménagée en chaufferie, on avait installé des fourneaux bâtis en briques dont les cheminées traversaient de bas en haut l'édifice. il y avait également des fours installés au rez-de-chaussée. Des conduits de bois déversaient l'eau dans une piscine. La salle des étuves était surplombée d'un dôme percé de trous pour l'évacuation des vapeurs. C'est au château de Belmonte (Espagne) que l'on peut voir la plus belle étuverie encore existante.
La biagnerie comprenait "
les fournaises des étuves à barbier et les fournois pour y mettre les pots destinés au chauffage de l'étuve²²². La plus haute marque de politesse consistait à offrir à un visiteur un bain pour le souper.
La cité des étuves
La plupart des quartiers de Paris étaient pourvus d'établissements balnéaires. Au coeur de la ville, on en trouvait dans une ruelle portant le nom des
Étuves-Saint-Michel. Cette ruelle aboutissait à la rue de la Barillerie, devant le Palais.
Sous Charles V, les étuves dudit Palais formaient un bâtiment spécial à la pointe de la cité. Après le bain, on s'étendait sur un matelas de coton, et l'on pouvait s'envelopper de couvertures de CHypre. On se faisait parfumer tout en buvant de l'hypocras. Il y avait des baignoires en fer ou en marbre ²²²². On se séchait avec des "fonds de bain". Ces établissements incitaient au farniente et il semble qu'ils n'aient été fréquentés que par la noblesse et la bourgeoisie de Cour.
Les étuves de l'Hôtel Saint-Pol avaient un pavement en pierre de liais, des lambris en bois d'Irlande et une porte de fer treillissé pour entrée. Là aussi, la "clientèle" était sélectionnée.
En traversant la Seine, donc sur la rive droite, se trouvait un cul-de-sac appelé des
Vieilles-Étuves et plus loin la
rue des Étuves qui prit, en 1350, le nom de
rue des Vieilles-Étuves. Plus loin, aux abords de la rue Saint-Denis, on trouvait, en 1365, le
Cul-de-Sac des Étuves, et la rue de l'Arbre-Sec abritait des étuves pour hommes. Dans une autre
rue des Étuves, qui avait porté le nom de Geoffroy-des-Bains, une maison était ovuerte aux femmes. Elle avait pour enseigne
Au Lion d'argent. Plus tard, cette rue fut baptisée des
Vieilles-Étuves.
Hommes, femmes, enfants, bourgeois et manants
Il advenait que des étuves pour hommes et d'autres pour femmes se jouxtassent, comme rue de la Huchette. Les premiers fréquentaient une maison dite de l'
Arbalète, les autres avaient leurs habitudes aux
Deux-Boeufs. Des enseignes les signalaient à l'attention des passants.
On trouvait encore, dans le quartier des Étuves, une
rue des Étuves et des étuves encore dans la
rue du Chat-qui-pêche. Les Juifs, dont la loi prescrivait qu'ils prissent un bain une fois par mois, avaient, rue de la Pelleterie, des étuves à leur usage exclusif. On ne leur permettait l'accès aux bains publics que le vendredi, jour réservé aux femmes de " mauvaise vie " et aux saltimbanques. En 1312, à la suite d'un compromis, les Juifs furent admis en certains bains... à condition de participer aux frais d'entretien.
Dans le voisinage du quartier Saint-Michel, c'est-à-dire dans la rue Pierre-Sarrazin actuelle, un établissement fut ouvert en 1256.
Il y avait donc maintes rues des Étuves. Les possesseurs de celles-ci s'étaient groupés en un corps de métier sous le nom d'Étuveurs ou Étuviers. En 1292, on en recensait 26 dont une étuveresse. Des statuts régissaient leur profession. Leur communauté était surveillée par 3 jurés élus par les maîtres du métier. Il fallait que les bonnes moeurs fussent respectées. Il était interdit de laisser entrer aux étuves des " femmes de mauvaise vie ", des lépreux (
mesiaux et meselles) et autres gens de "diffame de nuit". Fermées dès la vesprée, les étuves ouvraient à l'aurore. Les crieurs clamaient :
- Citation :
Seignor, qu'or vous allez baingnier
Et estuver sans delaier (sans delai)
Li bains sont chaut, c'est sans mentir.
D'autres hurlaient les noms des enseignes :
- Citation :
C'est à l'image de Saing-James
Où sont les femmes se baignier
Baigneux, aux étuves allez
Vous y serez bien servis
De varlets et de chambrières
De la dame bonne chère
Allez tous les bains sont prêts !
Le prévôt dut interdire les " crieries " à la suite de maintes protestations.
Le prix du bain
D'après les statuts d'Étienne Boileau, prévôt de Paris, les gens qui s'étuvaient seulement devaient acquitter 10 deniers parisis. Il est impossible de fournir désormais une contre-valeur. Ceux qui se baignaient après s'être étuvés devaient payer 4 deniers. En 1371, le prévôt Hugues Aubriot décida que l'on paierait 4 deniers pour l'étuve seule, un denier pour le drap et 8 deniers pour un bain de vapeur suivi d'un bain ordinaire. Si deux personnes venaient ensemble, le tarif était de 12 deniers.
"
Pour chacun drap commun qui ne passera pas lès et demy l'en paiera ung denier ; pour chacun drap de deux lez et de plus, pour moitié ès lèz, l'on paiera deux deniers. "
Vers 1400, l'étuve simple, pour un homme, coûtait 6 deniers. Avec bain dans une cuve : 16 deniers.
Deux hommes pouvaient se baigner dans une même cuve pour le même prix avec oreillers, couvre-chef (serviette) et enveloppes (peignoirs). Le drap était payé 1 denier et le grand drap à étendre sur un lit 2 deniers. D'après les statuts du prévôt de Paris en 1399, les maîtres étuveurs (hommes et femmes) devaient être " de bonne vie, renommée et honneste conversation ". Dans les huit jours de leur réception parmi les étuveurs, ils juraient de garder les secrets du métier.
Les étuves d'hommes ne pouvaient être chauffées pour les femmes. On interdisait de " lever des baings " ailleurs que dans les lieu désignés, et non des lieux secrets, sauf pour les " femmes de grand honneur " et avec l'autorisation du prévôt. Aucun étuveur, aucune étuveresse ne devait
bourdeler (bordeler ou " tenir bordeau "). Les garçons n'étaient admis dans les étuves des femmes que jusqu'à l'âge de sept ans.
"
²
Le Dict des trois ch anoinesses de Cologne, tiré des poésies de Watriquès.
²² Antony Méray :
La Vie au temps des cours d'amour, Paris, 1876.
²²² Docteur Cabanès :
Moeurs intimes du passé (Albin-Michel, vers 1900).
²²²² Louis de Male, comte de Flandre (1346-1384), avait été baigné, enfant, dansune cuve d'argent et d'or.
Réf. bibl. : NAUDIN (P.),
Les Chemins de la honte I. Cycle de Gui de Clairbois III. Un vent de guerre, s.l., 2001, p. 651-661.