[ACCUEIL] Grande salle de la Messagerie ducale

Felryn tirait sa tronche des jours mauvais en faisant le pied de grue devant l'Hotel de la Bourse, attendant qu'on lui livre l'accès au comptoir des maires. Fort heureusement pour l'Embrunais, bien que fermée aux regards impudiques, une porte, suivant qu'elle soit de bois ou de fer, laissait filtrer le son de manière variable. Dès qu'il crut entendre le nom d'Embrun, le charpentier ne se gêna pas pour coller son esgourde au chambranle. Ça parlait du fameux courrier. Celui avec lequel ils avaient failli se compisser de rire, à Embrun. Fort de ce souvenir manifestement laissé à l'abandon, l'Embrunais aboya à travers la porte, ignorant qu'il lui était possible de l'ouvrir (la porte).

-Eho, du bureau! J'trouve qu'monseigneur est sacrément gonflé d'se présenter au Castel Lyonnais d'la sorte. S'il a pris la peine de s'trimballer la bure du Puy jusque là, il aurait pu pousser au moins jusqu'à Embrun. Comprenez, c'est qu'le prêche à distance, nous, on adhère pas. C'est qu'on veut bien suivre l'enseignement d'un maître spirituel, mais 'faudrait encore qu'y vienne en personne faire la classe aux villageois, que j'dis.

Il faisait déjà silence depuis un petit moment avant que Felryn ne se mette à beugler contre la porte. À nouveau, il tendit l'oreille pour déceler la présence épiscopale. Dans le doute, il en rajouta une couche, en bon aboyeur de comptoir.

-Et pendant qu'j'y suis, vous feriez bien d'aller écrire au père °°Philippe°° plutôt qu'au bourgmestre. Ca fait des mois qu'on n'a plus droit à nos messes hebdomadaires. J'peux vous dire qu'ça fait long. On commence à s'demander si l'curé aurait pas cassé sa pipe dans la cathédrale.

N'était la sobriété inhabituelle qui habitait ses artères, l'Embrunais se serait royalement vautré sur l'envoyée épiscopale dès l'ouverture de la porte. Au lieu de ça, il trébucha en se raccrochant au chambranle, grognant dans sa face rubiconde:

-Toquer grâcieus'ment! J'ai l'air grâcieux, p't'être? Et la tempérance, ah, la tempérance! C'pour les pègnes-cul Diois, la tempérance. D'ailleurs, vous avez d'la chance, vous qu'êtes tombée archevêque dans les meilleures villes du duché. Parc'que oui, y paraît qu'vous avez bien été nommée. À c'propos, j'espère qu'vous avez des jambes solides, ou une bonne mule, pour monter jusque chez nous.

Le gaillard agita mollement la tête devant le verre d'eau, observant, avec toute l'indiscrétion qui était sienne, Monseigneur Tokai, qu'il voyait pour la première fois.

-Eh ben, l'en faut peu pour vous donner soif. J'espère qu'vous amenez vos cruches sous le bras quand vous prêchez. Quant à m'baptiser, vous fatiguez pas, c'est d'jà fait. Vous pourrez r'garder dans vos registres, ou j'sais pas quoi. Dans les 'F', comme Felryn. J'pige pas bien l'utilité d'un archevêque mais pour tout vous dire, j'me figure que c'est vot' rôle à vous d'appâter le cureton pour nous faire la messe. J'espère quand même que c'est la première chose que vous f'rez, quand vous s'rez sur place. D'ailleurs, à quand l'grand jour?

Felryn en était à se gratter la barbe énergiquement, considérant la proposition de Tokai d'un oeil sinistrement lubrique.

-Pour être déjà entré dans les bureaux d'Saint Antoine, j'sais que c't'une mauvaise idée. C'est des coups à vous hérisser l'poil du dos, tant c'est calme. Plus silencieux qu'les geôles vacantes de Lyon. C'est malsain. Enfin, ça vous fait p't'être rien. Z'avez pas d'poils au dos, hein?

Le voilà qui partit d'un long rire gras, bientôt étouffé par une main inopportune. La trogne dubitative, l'Embrunais empoigna la paluche du jeune Briançonnais.

-Colin, hein? J'espère qu't'as porté aucun crédit à c'qu'ont pu dire ces gonzelles. C'était sûr'ment qu'des racontars.

Puis, grommelant à nouveau à l'archevêque:

-On reparlera d'ces histoires de bureaux quand les Embrunais auront pu vous voir dans l'village. C'est qu'y sont dupes de rien, ces gensses-là. Y'a qu'la boisson pour les rendre crédules. Si vous voyez c'que j'veux dire. Hinhin.

Une dame qu'il ne fallait pas appeler dame. Encore une drôle d'idée.
Quant à savoir s'il voulait être baptisé...

Bah j'sais po trop. J'crois bien qu'j'y ai jamais pensé

Il se souvenait bien du baptême du petit garçon de la Dame Ninoua. Il n'avait pas eu l'air d'avoir peur ou mal et presque tout le monde avait l'air content d'être invité à la cérémonie. Et puis le Messire Felryn aussi était baptisé qu'il avait dit. Colin leva les yeux vers l'homme qui lui avait quasiment broyé la main et qui était très ressemblant au portait qu'on lui avait fait, quoi qu'il en dise. A dire vrai, il lui avait tout de suite plu avec sa voix grommelante et son allure de montagnard.

"Quand j'serai grand, j'serai comme l'M'ssire Felryn", se dit Colin

Bientôt, l'Embrunais se pencha pour écouter les indications de l'archevêque. Il hocha la tête.

-J'peux toujours chercher avec Briançon. Si c'est pour l'salut d'nos âmes, on devrait bien trouver quequ' part une âme charretable.

Puis, observant Colin:

-Dis voire mon gars, j'aurais deux services à te d'mander. Toi qu'a l'air débrouillard, ça devrait pas t'poser d'soucis. Si tu vois l'grand barbu de Ka, tu l'saluera d'ma part. Puis, quand t'auras l'temps, t'ira t'rincer la goule dans une taverne de Briançon, avec du génépi. D'la qualité ou du bon marché, m'en cogne. Et quand tu s'ras assez échauffé, t'iras trouver l'ancienne baraque du Queyras, et tu piss'ra sus l'mur d'ma part. J'ai quelques deniers, pour l'génépi, s'tu veux.

Puis de se racler le fond des fouilles pour trouver quelques écus.

Felryn opina du chef.

-J'pense déjà avoir trouvé un homme tout disposé à vous charreter vers not' village.

Il du donner une mauvaise réponse car la dame se désintéressa de lui. Colin se dit qu'il allait en parler à la Dame Ninoua, histoire de paraître moins bête la prochaine fois qu'on lui parlera baptême. Le messire Felryn s'adressa alors à lui. Oh ! Il lui demandait service ! Et deux en plus, quelle chance ! Se redressant au garde-à-vous, il ouvrit grand ses esgourdes pour enregistrer ses deux missions. Mais si la première ne lui poserait aucun problème, la seconde en revanche le circonspec.. l'étonnif.. le laissait bouche bée !

Vous voulez parler d'la maison d'M'ssire Hardryan d'quand il habitait pas encore l'manoir et pas encore l'chateau d'Queyras ?
J'dis pas nan pour l'génépi mais pourquoi que j'dois aller *coup d'oeil embarrassé à la dame* pisser sur l'mur d'm'ssire Hardryan ?

Le garçon avait déjà vu ou plutôt entendu ce qu'il s'était passé la dernière fois que le père Gustave, rond comme une queue de pelle, s'était soulager sous le porche de la mère Gertrude. Le fracas d'une avalanche paraissait une douce mélodie à côté de ça !

Marsa fut ravie de voir sa marraine, enfin un peu de soleil dans sa journée

Ah !!! ma Plumette, merci à vous tous, je viens d'hériter d'un beau cadeau empoisonné mais c'est pas ça qui va m'arrêter